Journée thématique du 30 avril 2004

« Gestion intégrée des espaces littoraux en baie de Somme »

 
COMPTE-RENDU


Réserve naturelle de la baie de somme : quel fonctionnement, quel financement ?
        Patrick TRIPLET, directeur de la Réserve Naturelle


 

Qu’est-ce qu’une réserve naturelle ?


Issu de la loi sur la protection de la nature, votée en 1976, le concept de « réserve naturelle » est mal connu du grand public. La réserve naturelle sert à protéger des espaces exceptionnels pour les générations futures. Il existe donc un décalage permanent entre les décisions du gestionnaire de la réserve, qui agit dans une optique de long terme, et les attentes du public qui souhaite souvent pouvoir « consommer » immédiatement cet espace protégé.


La notion de paysage n’est pas la priorité dans le plan de gestion des réserves naturelles. Leur rôle est avant tout fonctionnel vis-à-vis de la protection de la flore et de la faune. Elles servent en particulier à constituer des escales pour l’avifaune sauvage et ainsi à préserver les grandes voies de migration.


Les réserves naturelles sont créées par l’Etat, le comité de gestion étant présidé par le sous-préfet local. Actuellement, le nombre des réserves créées est en diminution.

 

Cas de la Baie de Somme


Réserve de chasse entre 1968-73, la réserve naturelle fut crée en 1994, protégeant ainsi 15 000 ha.


La surface protégée de la baie de Somme à proprement parler, c’est-à-dire celle de l’estuaire, est de 3 000 ha, avec une surface de 25-30 ha occupée par les pré-salés. Il existe également des formations dunaires juvéniles (reposoir originel des limicoles à marée haute), des roselières (anse Bidard) ainsi que des polders (terres agricoles conquises sur la mer) où est installé le parc du Marquenterre.

 

Ensablement

 

La Baie de Somme est en perpétuelle évolution, comme toutes les zones estuariennes similaires. La sédimentation atteint jusqu’à 30 cm en 6 mois. La divagation du chenal entraîne une variation de la surface de la réserve chaque année. L’accumulation de sable se fait dans la partie nord. Sur les zones en accrétion, l’ensablement est amplifié par l’installation de la spartine anglaise (Spartina townsendi), une plante envahissante qui colonise les bancs vaseux occupés par les oiseaux limicoles, réduisant ainsi leur zone de repos et de nourrissage. On voit donc certaines espèces d’oiseaux qui s’alimentent habituellement dans ces zones vaseuses, telles que le bécasseau variable et le grand gravelot, sortir de la réserve naturelle.

 

Une zone riche en espèces et productive malgré l’ensablement


Malgré le problème de l’ensablement, la zone estuarienne reste une zone d’abondance de nourriture pour les oiseaux. Certaines espèces sont en augmentation, telles que la sarcelle d’hiver et le tadorne de Belon. La zone accueille en hivernage plus de 1% de la population européenne de canard pilet. La tranquillité du site permet son installation, ainsi que celle du canard colvert sur les reposoirs. L’oie cendrée et la cigogne blanche ont, quant à elles, été introduites avec succès, sans impact négatif sur les autres espèces mis en évidence à ce jour.


La baie abrite également une population de phoques qui compte une dizaine de naissance par an.

La végétation de la réserve présente des espèces intéressantes, dont trois sont protégées à l’échelle nationale: l’élyme des sables (Elymus arenarius), le chou marin à fleur blanches (Crambe maritima) et le liparis de Loesel (Liparis loeseli). Cependant, on enregistre un déclin de ces espèces lié à l’évolution du milieu.


Un inventaire sur les insectes est réalisé depuis 4 ans, révélant une espèce protégée en France.



Gestion de la réserve naturelle


La richesse de cette zone lui a permis d’être inscrite sous plusieurs directives : ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique), ZICO (Zone d’Importance pour la Conservation des Oiseaux), ZPS (Zone de Protection Spéciale), Convention de Ramsar et enfin zone de conservation Natura 2000.


Des ateliers, composés des gestionnaires et des scientifiques, permettent d’élaborer des interconnexions entre la recherche et la gestion. La modélisation est utilisée pour la gestion à long terme, tel que le contrôle de la spartine anglaise. De même la hauteur d’eau et la salinité sont suivies avec rigueur, car le caractère saumâtre de cette zone doit être absolument conservé pour éviter un changement radical du milieu (perte de biomasse et changement des espèces adaptées). Ces facteurs sont donc pris en compte dans la gestion des plans d’eau.

Le dérangement des espèces d’oiseaux et l’adaptation de leur comportement face à des perturbations sont étudiés depuis plusieurs années. La distance d’envol et la sensibilité à l’envol sont des outils utilisés pour évaluer le dérangement des espèces ; la sensibilité des espèces dépendant de la fréquence de leur dérangement et du danger qu’elles ressentent, les espèces protégées ont une distance d’envol plus courte. Théoriquement, les espèces les plus sensibles limiteraient leur envol pour limiter leurs dépenses énergétiques au strict nécessaire.

Les mesures des distances d’envol par rapport à un humain approchant à la marche servent à organiser la fréquentation humaine du site.

A partir de la distance d’envol de l’espèce la plus sensible, majorée d’une marge de sécurité, il s’avère que la distance à respecter entre les humains et les animaux sauvages (oiseaux ou phoques) est de 300 m. Au niveau de la gestion, des bandes passantes pour les oiseaux et une zonation des déplacements humains sont en projet.


Contrairement aux idées reçues, les études de dérangement des oiseaux montrent que même immobile (tel l’ornithologue), on peut provoquer une gêne et un envol. Une distance est respectée par les oiseaux face aux humains que l’on appelle distance d’évitement. Il en ressort qu’une seule personne sur une vasière peut empêcher l’alimentation des oiseaux sur 7 ha, soit 700 oiseaux qui ne peuvent s’alimenter sur cette zone et cherchent une autre zone d’alimentation. La préservation dure de la réserve permet de garantir le tourisme ornithologique à long terme.


La fréquentation touristique nécessite l’installation de quelques panneaux pour l’accueil du public : sommaire avec palissades d’observation pour ne pas déranger les oiseaux par exemple.

La sauvegarde des phoques dépend des perturbations sur l’eau, sur terre et dans les airs également.


Des opérations de gestion de la végétation par fauchage sont contrôlées par cartographie. L’impact du pâturage des herbus est mesuré en fonction des espèces végétales et des espèces qui pâturent. Enfin, bien que la spartine soit contrôlée en dehors de la réserve, les interventions dans la réserve ne pourront avoir lieu que si l’on démontre que le contrôle de l’expansion de cette espèce n’entraîne pas de conséquences écologiques graves.

Le nettoyage de la réserve s’impose également concernant les déchets de la mytiliculture dont les bouchots sont laissés en place après usage.

 
Quelques réglementations contre le dérangement des espèces sauvages

 

Il s’est avéré indispensable de mettre en place dans un premier temps un arrêté préfectoral interdisant les véhicules et les aéronefs pour limiter les dérangements des populations d’oiseaux. Après 3 ans de procédure, le jet-ski est enfin interdit dans la Baie de Somme pour causes de pollution sonore, de sécurité des baigneurs et de dérangement des phoques et des oiseaux. Actuellement la voile, le cerf volant, le sky-surf posent également des problèmes, y compris d’ailleurs de sécurité compte tenu des piquets présents dans la réserve.

 

Aujourd’hui, la réserve naturelle est un terrain d’expérimentation qui permet de donner une évaluation de plan de gestion de type document d’objectifs Natura 2000. Actuellement, la gestion de la réserve est basée sur les seules recettes du Parc Ornithologique du Marquenterre ; une gestion dans le cadre de Natura 2000 renforcerait ses moyens financiers.

 

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